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26/12/2020
De ecclesiae universalis
ECCLESIA
 
Dès les premières secondes, par un temps de chien, des moines me guident dans l’univers du Nom de la Rose. Le voyage en question est encadré par une intro (Excommunicamus) et une outro expressives de facture sabbathienne…et au milieu coule une prière. Les paroles explorent toutes les luttes religieuses : croisades, luttes contre les hérétiques, lutte interne du croyant tiraillé par ses fautes, lutte contre le Diable et les sorcières, luttes juridico-théologiques de l’Inquisition. Le concept s’avère être simultanément un gros filon d’histoires à raconter et le prétexte idéal à l’élaboration d’une esthétique novatrice, sorte de chaînon manquant entre doom et heavy métal.

Voyez God’s Trial, l’histoire simple d’un modeste humain, pécheur par orgueil, qui est livré aux mains d’un dieu punisseur. La musique sacrée devient une sacrée musique lorsqu’elle part en vrille en s’appuyant sur les accords interdits dans le registre liturgique. Le génie d’ECCLESIA, c’est que pour appuyer la narration, il entame les hostilités par un riff très doom qui finit par accélérer jusqu’à devenir suffoquant. Et là, vous ressentez jusqu’au fond de vos tripes que ça empeste la sentence ultime pour le pauvre quidam. Quel morceau ! Quelle expérience !

The Witchfinder General (guitariste) me confie : « Certains voient en ECCLESIA un simple groupe de "white" métal, tandis que d'autres nous considèrent comme un énième groupe occulte, satanique. ECCLESIA est là pour restaurer la grandeur de l'Eglise Universelle par les forces conjointes de l'épée, du verbe et de l'orgue, mais aussi pour bousculer un peu les clichés, dans un sens comme dans l'autre ».
Si je comprends bien, ECCLESIA, c'est du "trollage" au second degré, l’irrévérence du monde heavy métal tournée vers l’intérieur, le blasphème au sein des blasphémateurs. J’adore l’idée.

L’album De Ecclesiae Universalis est un opus clair-obscur dont se délecteront vos âmes et vos oreilles. Tout d’abord, la production est riche et puissante. Ensuite, dans le groupe chacun est à sa place et chacun tient son rôle à merveille. Sans porter atteinte au grand talent des musiciens d’ECCLESIA, je m’autorise à souligner la rarissime qualité du chant de Frater ARNHWALD. En effet, la voix multiforme (tantôt claire, tantôt rauque, tantôt agressive) possède une tessiture à large spectre, guidée par un vrai talent d’acteur auquel je suis particulièrement sensible. Comme me le fait remarquer The Witchfinder General : « Le spectre vocal extrêmement large de Frater Arnhwald n'est pas tombé du ciel – si je peux me permettre – ses capacités sont le fruit d'années de travail acharné et de passion. Si ECCLESIA avait une devise, ce serait "ora et labora" : "prie et travaille" ».

L’indéniable point fort du groupe réside dans sa capacité à créer de l’atmosphère et à ajouter de l’épaisseur à leurs morceaux sans toutefois égratigner la puissance des compositions. Pour bien expliquer cet aspect, prenons l’exemple de Deus Vult (la Volonté Divine). Le morceau ressemble à un pilier planté par des croisés en terre païenne : vous commencez par couler des fondations en béton avec un riff façon RAMMSTEIN, puis vous y scellez une armature en acier avec une rythmique très solide qui charpente le tout. Il ne vous reste alors qu’à bancher un pilier à toute épreuve, coffré d’une voix rauque et puissante. Et enfin, vous customisez le monolithe en y laissant grimper un lierre sombre sous la forme de nappes d’orgue, de refrains en latin et de chœurs grégoriens.

Voilà la raison de la claque que je me prends à l’écoute de ce De Ecclesiae Universalis : les gars sortent un premier LP et ont déjà une esthétique qui leur est propre. Même lorsqu’ils détournent le standard de VENOM (Don't) Burn The Witch, c’est « à la manière d’ECCLESIA », manière qui rajoute du corps au morceau tout en préservant sa brutalité originelle. Quant à l’inversion des paroles, c’est du blasphème à l’encontre du dieu VENOM qui corrobore mon hypothèse de "trollage" au second degré.

Un autre exemple pour la route : Vatican III démarre par un ostinato de guitare très rapide, sur lequel viennent se greffer la rythmique, l’enluminure d’un orgue frénétique, puis un chorus de six cordes aérien avant de se faire cueillir en plein ciel par une voie incroyable qui part sur une ligne épique prolongée par un refrain du meilleur effet. (Ça y est, vous pouvez respirer). Là-dessus, gros break à l’orgue et décollage à nouveau vers un solo de gratte soutenu par la rythmique qui prend une nouvelle saveur. Un magnifique morceau, varié, astucieusement construit et parfaitement réalisé.

Et ce n’est pas le seul, loin de là, au cours des trois quarts d’heure de l’album. Je ne vous ai cité que cinq morceaux, mais n’allez pas croire qu’il n’y a rien à dire du reste car l’autre particularité de ce joyau, c’est l’absence de ventre mou – garanti sans trace d’arachide, ni morceaux de remplissage.

Certes, au moment où j’écris ces lignes l’année n’est pas finie mais pour moi cette pépite va entrer allègrement dans mon Best Of 2020 à une place qui fera sans doute pâlir certains grands noms internationaux.

Un incontournable ! Ite missa est

Vatican III : cliquez ici
Pumpkin-T
Date de publication : samedi 26 décembre 2020