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09/03/2022
Legacy of ruin
EIGHT BELLS
 
J’avoue ne découvrir ce trio américain qu’avec la sortie de ce troisième album, qui fait suite à The Captain’s Daughter (2013) et à Landless (2016). Même si tardive, cette découverte constitue une surprise très nettement positive. En effet, EIGHT BELLS tourne ostensiblement le dos aux sous-genres si strictement circonscrits, aux formules préétablies, aux référentiels par trop révérencieux et, sans masquer des influences nombreuses et fort diverses, se fait fort de proposer un Metal très personnel, totalement aventureux, grouillant de contrastes, forcément exigeant, mais avant tout totalement vibrant.

On ne sait trop par quel bout commencer, tant le Metal développé par le trio impressionne par sa richesse et par la diversité de ses influences. Débutons par la face la plus extrême qui se traduit par de nets emprunts en provenance du Black Metal, avec des cavalcades épiques, des riffs rêches et hypnotiques, ainsi qu’un chant masculin parfois rauque et colérique ; on oscille entre l’entame rêche à la DARKTHRONE (débuts), la roideur froide d’ENSLAVED et les cascades irrésistibles de WOLVES IN THE THRONE ROOM (idem). Par ailleurs, la maîtrise des innombrables variations dans les rythmes et dans les tempos, combinée à une intensité impressionnante, rappelle quelque peu les vertus nécessaires à l’accomplissement du Death Metal technique. Par ailleurs, on retrouve par instants ce rendu technique, urgent et tendu qui caractérisait VOIVOD sur ses deux albums essentiels, à savoir Dimension Hätross et Nothingface. Enfin, l’alternance d’agitations rugueuses et des plages plus sensibles pourrait sans conteste attirer les zélateurs d’un Post Hardcore héritier des incontournables NEUROSIS. Du lourd donc…

Vous l’aurez compris, les six compositions de Legacy Of Ruin fuient comme la peste les schémas basiques et simplistes, préférant adopter une approche structurellement plus complexe, foncièrement progressive dans l’âme. Il faut souligner que le trio s’est donné les moyens de cette ambition progressive. Tout d’abord en privilégiant des durées conséquentes, qui permettent de multiplier les séquences ; jugez plutôt, par ordre croissant de durées : The Crone (7’47), Destroyer (8’14), Premonition (9’28) et, enfin, le culminant The Well (11’09). Ce qui nous laisse deux titres de taille raisonnable, Torpid Dreamer (4’45) et Nadir (5’14).

Ensuite, il faut saluer la maîtrise instrumentale des trois musiciens : la maîtresse de cérémonie Melynda JACKSON à la guitare et les deux nouveaux venus Brian BURKE (CAVE DWELLER, NO SHORES) à la batterie et Matt SOLIS (URSA, CORMORANT) à la basse. Comme un RUSH de l’extrême, le trio aborde avec technicité et sensibilité des changements on ne peut plus fréquents et adapte son jeu à chaque ambiance.

Après avoir dévoilé la face extrême et souligné le versant complexe, il est impératif de souligner combien le groupe se montre soucieux de faire montre d’un esprit de finesse, voire de délicatesse. Principale incarnation de cette facette identitaire, la voix claire et captivante de la guitariste Melynda JACKSON, très souvent harmonisée avec le côté clair de son collègue bassiste Matt SOLIS (capable, on l’a vu, de se montrer franchement hostile). Les deux complices combinent des arrangements vocaux travaillés, produisant un rendu vocal absolument envoûtant, s’inscrivant en parfait contrepoint des éructations gutturales intervenant ponctuellement.

Toujours dans le domaine de la mélodie, la guitare sait se faire plus claire, parfois subtilement acide, parfois limpidement Folk, reprenant à son compte les développements mystiques caractéristiques de certaines formations allemandes des années 70 (POPOL VUH, ASH RA TEMPEL), impression augmentée par certains arrangements de claviers vintage.
Impossible de ne pas évoquer certaines incises instrumentales chargées de dissonance et d’acidité, héritières lointaines du Rock psychédélique de la fin des années 60, du Krautrock des années 70 (FAUST, NEU!, CAN) mais aussi du plus roide Post Rock des 90’s.

Cette profusion d’inspirations aussi diverses (presque divergentes) pourrait facilement virer au grand bazar. Fort heureusement, un homme a veillé au grain, tant pour la production que pour le mixage, à savoir le légendaire Billy ANDERSON, dont le pedigree comporte entre autres NEUROSIS, SLEEP, MELVINS, ORANGE GOBLIN, FU MANCHU, CLUTCH, EYEHATEGOD, Mr BUNGLE, ACID KING, HIGH ON FIRE, CATHEDRAL, PRIMORDIAL, SOURVEIN, OM, BLOOD CEREMONY, YEAR OF THE COBRA et des dizaines d’autres). Le maestro assure une juste exposition de chaque élément, qu’il ait une vocation à écraser ou à enluminer, fournissant sans coup férir des rendus ultra-puissants, tendus et rêches, limpides et lumineux. Les composantes presque contradictoires de la musique de EIGHT BELLS s’en trouvent dûment honorées et magnifiées.

Voilà donc un album taillé pour les aventuriers, pour les romantiques, pour les explorateurs. EIGHT BELLS donne beaucoup : merci de lui rendre autant.

Vidéos de The Well cliquez ici et Nadir cliquez ici
Alain
Date de publication : mercredi 9 mars 2022