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28/12/2022
Cryosleep
MARE INFINITUM
 
A croire que le groupe moscovite MARE INFINITUM possède un bon sens de l’humour, en dépit du genre pratiqué et de la période qui porte peu à la rigolade. En effet, baptiser Cryosleep son troisième album, alors qu’il survient pas moins de sept ans avant son successeur, Alien Monomith God, paru en 2015 (saluons au passage ce premier album de 2011, Sea Of Infinity, que j’avais bien aimé !). Quoi qu’il en soit, on est sincèrement content de retrouver ce groupe qui se fait fort de pratiquer un Doom Death mélancolique, atmosphérique et mélodique. En la matière, les cinq compositions qui constituent Cryosleep témoignent d’un solide niveau de maturité, tant dans les compositions, les arrangements que l’interprétation vocale et instrumentale.

Quand il s’agit de Doom Death Metal, on peut toujours craindre une stricte et banale réitération des débuts du sous-genre lors du début de la décennie 90, avec son lot de rythmiques épaisses, de vocaux caverneux, inévitablement challengées par un chant féminin gothique, d’arrangements synthétiques, à vocation alternativement grandiose ou fantomatique. Banco, MARE INFINITUM coche toutes les casses, du moins dans leurs principes ; parce que dans leurs modalités de conception et de restitution, le groupe prend soin d’emmener ces éléments de base vers des résultats nettement évolués.

Débutons par les fondations, à savoir la section rythmique et les riffs. Certes, le tempo général demeure lent, lourdement marqué par un batteur qui enrichit le tout d’un jeu de cymbales complémentaires. Difficile d’évaluer le rôle de la basse avec les mp3 promotionnels, mais les riffs de guitare s’avèrent traditionnellement lapidaires, massifs et globalement plombants. Sauf que l’intégralité de la dimension rythmique sonne de manière incroyablement plus aérée et variée que ce que prescrivent les tables de la loi. Tout d’abord parce qu’à aucun moment MARE INFINITUM ne tente de se lancer dans le concours de la rythmique la plus lourde, la plus plombée (ou marmoréenne), la plus écrasante ; le groupe laisse respirer ses rythmiques, complète en permanence les riffs par des guitares plus mélodiques, moins saturées.

Sans compter que toutes ces déambulations lancinantes se trouvent comme prévu enrichies, et même enluminées, par des arrangements synthétiques qui sont bien plus luxuriants et ambitieux que par le passé. MARE INFINITUM en vient même à frôler une grandiloquence orchestrale, à mi-chemin entre Requiem et Opéra, sur certaines séquences, sans toutefois verser dans le mauvais goût ostentatoire.

Le versant vocal ? Certes, on bénéficie encore de passages masculins, gutturaux et caverneux, solennels et hostiles. Solidement assurés, on se rend rapidement compte qu’ils servent avant tout à ancrer MARE INFINITUM dans le granit d’un registre référentiel. Car, désormais, prédominent un chant masculin clair et puissamment expressif (quoique sans excès de puissance), des interventions féminines ponctuellement puissantes et subtiles, le tout soutenu par des chœurs indéniablement chargés de puissance et d’émotions. Combinées aux arrangements synthétiques, ces pulsions acquièrent régulièrement des dimensions orchestrales, lesquelles créent des contrastes fructueux avec la pesanteur et la lenteur et confèrent à l’ensemble une toute autre dimension. Par en terminer avec les aspects vocaux, notons qu’un chant masculin clair et bien posé apporte encore plus de diversité.

Enfin, même la trame fondamentale des compositions demeure marquée par le Doom Death, il faut saluer une nette envie de se renouveler et d’aller de l’avant, au-delà des passages orchestraux déjà évoqués. Ainsi, non content de représenter la plage au tempo le plus enlevé et au rythme le plus nerveux, la séquence inaugurale du morceau conclusif, Celestial Escapist offre un visage étonnant, celui d’un Metal symphonique dynamique, mélodique et… positif ! La longueur du titre (9’43) permet une multiplication des séquences, des rebondissements dramatiques et opératiques. A titre personnel, je n’apprécierais pas un album entier dans ce genre un brin pompier, mais il faut admettre que cette imposante coda pour le moins animée apporte un contrepoint salutaire à un album par ailleurs déjà fort en émotions contrastées. La prolifération des ingrédients désormais à l’œuvre chez MARE INFINITUM se trouve intelligemment gérée grâce aux durées pour le moins imposantes (entre 7’08 et 12’06, excusez du peu !), qui permettent d’installer convenablement des séquences différenciées, au service de progressions dramatiques ou atmosphériques.

Cryosleep ne prétend pas révolutionner ou réinventer le Doom Death Metal , mais il en représente indéniablement une mouture évolutive et très intéressante : bravo à MARE INFINITUM !

Vidéo de l’album : cliquez ici
Alain
Date de publication : mercredi 28 décembre 2022