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La vallée n'était pas verte
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Fan de la première heure de CANDLEMASS, je confesse cependant un léger agacement au vu de la tournure quelque peu erratique que prennent la carrière et la production discographique de cette formation essentielle du Doom Metal épique. Si l’on s’en tient au siècle présent, il y eut la réunion de la formation dite classique du groupe, comprenez avec le chanteur Messiah MARCOLLIN de retour aux affaires. Bilan des courses ? Un album live, Doomed For Live – Reunion 2002 et un album studio sans titre de très bonne facture, sans pour autant égaler la fantastique triplette inaugurale Epicus Doomicus Metallicus (1986), Nightfall (1987) ou Ancient Dreams (1988).
Un petit tour et puis s’en va, MARCOLLIN quitte le paysage au profit du vocaliste de SOLITUDE AETURNUS, l’Américain Robert LOWE. Cette fois-ci, la formule semble fructueuse : trois albums et un EP studio de haute volée (dont le splendide Psalms For The Dead, datant de 2012) et un live (Ashes To Ashes, 2010). Exit LOWE, au motif que ses performances scéniques laissaient à désirer. Bienvenu à un familier de Leif EDLING, bassiste et maître à penser de CANDLEMASS, le chanteur Mats LEVEN. Les deux hommes ont déjà collaboré au sein d’ABTRACKT ALGEBRA (formation d’EDLING consécutive au split de CANDLEMASS au milieu des années 90) et de KRUX (trois albums allant de l’essentiel – le premier – à l’excellent pour les deux autres). Par ailleurs, EDLING avait recours à LEVEN pour enregistrer les pistes témoins de plusieurs albums de CANDLEMASS. Passé entre autres par SABBTAIL, AT VANCE, TREAT, Yngwie MALMSTEEN, l’impétrant relatif a le temps de graver deux EPs, Death Thy Lover (2016) et House Of Doom (2018), puis de poser son chant sur ce qui allait devenir The Door To Doom…
Sauf que Leif EDLING décide fort peu élégamment d’évincer LEVEN au profit de Johann LANGQUIST, qui officia ô combien brillamment en tant que chanteur invité (même pas présent sur les photos !) sur le fondamental Epicus Doomicus Metallicus déjà évoqué. A la clé, l’album efficace et maîtrisé The Door To Doom (2019) et un EP, The Pendulum (2020), étrangement composé majoritairement de démos.
Vous avez la migraine ou le tournis ? Rien d’étonnant. Très honnêtement, la parution en 2021 de ce CD+DVD Green Valley Live conforte l’impression que CANDLEMASS peine à se renouveler. De quoi s’agit-il ? Afin de ne pas subir stérilement la pandémie de Covid 19, le groupe décide de capter une prestation dans un studio de répétition, en vue d’une diffusion en streaming. Fort bien, c’est dans l’air du temps et on comprend que le groupe n’ait pas voulu demeurer inactif. Pour quel bilan ? Malgré quelques moments approximatifs (que l’on peut mettre sur le compte du conteste live), on entend un groupe singulièrement puissant et pesant, affuté et motivé. Du point de vue instrumental, on tape dans des couches granitiques, magnifiquement nervurées par les solos à la fois mélodiques et zébrés de vibrato de Lars JOHANSSON. Du lourd, du très lourd même. Du point de vue vocal, hormis quelques errements relatifs, Johann LANGQUIST ne prétend pas restituer à l’identique ses performances puissantes et hantées de 1986, mais offre une performance solide et expressive. Du point de vue musical, la balance penche une fois de plus vers la nostalgie, en direction des végétations primales du Doom épique. Sur le plan vocal, on n’est indéniablement pas dans la résurgence de 1986, mais bien dans une réappropriation contemporaine des tournures novatrices du siècle passé. En effet, le timbre vocal de Johann LANGQUIST ne lui permet plus ces expressions angoissées et gothiques, avec des piques aigües ; il propose une approche davantage rauque et nerveuse, quoique toujours modulée en fonction des lignes originelles. Les variations sont possibles, à condition de ne pas trop s’éloigner du modèle originel.
Du point de vue du répertoire, Epicus Doomicus Metallicus passe en tête avec quatre titres, Nightfall étant représenté par trois morceaux, Ancient Dreams par presque deux (nous y reviendrons), Tales Of Creation par un unique titre. Outre un instrumental inédit, Doom Jam (fort joliment souligné par des arrangements d’orgue joués par Carl WESTHOLM de JUPITER SOCIETY, déjà collaborateur de Leif EDLING au sein de KRUX, CANDLEMASS, ABSTRAKT ALGEBRA et AVATARIUM), on trouve le morceau Astorolus, tiré du dernier album studio The Door To Doom : c’est puissant et pesant, mais pas complètement au niveau des classiques qui constituent l’essentiel de ce disque.
Si chaque fan pourra tout à loisir regretter l’absence de tel ou tel titre qu’il juge essentiel, on peut estimer que la présence de Ancient Dreams dans le track listing relève de l’arnaque pure et simple. Je ne vise pas la légitimité de ce morceau écrasant et épique, qu’à titre personnel j’adule. Mais bien la restitution qui en est ici proposée. Tout débute pour le mieux avec cette progression de riffs monumentaux, pour l’occasion splendidement rehaussés par l’orgue de WESTHOLM. Et puis voilà, une introduction et puis s’en va !!! Non seulement l’essentiel de l’instrumentation est réduite à son introduction, mais les parties vocales se trouvent purement simplement éludées ! Certes, la prestation originelle de Messiah MARCOLLIN s’avérait extrêmement exigeante avec ses montées et ses descentes toutes en puissance maîtrisée, de là à se dérober devant l’effort, il y a un pas qui relève de la lâcheté, LANGQUIST ayant les capacités pour adapter cette performance et la faire sienne. Ah, quelle déception !
Sur le plan du répertoire et de l’interprétation, Green Valley Live présente donc un visage globalement solide, ostensiblement tourné vers le passé, efficacement interprété. Le CD s’avère donc solide, et se serait bien passé de son pendant DVD. En effet, le lieu exigu et fonctionnel ressemble franchement à une salle de répétition, a été décoré de manière amateur et, globalement, ne s’avère guère propice à une quelconque projection imaginaire, adaptée à l’univers de CANDLEMASS. D’ailleurs, les musiciens l’ont bien compris, qui semblent éprouver un grand plaisir à jouer ensemble. Hormis les très concentrés Jan LINDH à la batterie et Lars JOHANSSON à la guitare solo, Mats BJÖRKMANN (guitare rythmique), Leif EDLING (basse) et Johann LANGQUIST (chant) multiplient les facéties et les regards caméra. Sympathique, mais, au bout du compte, ils finissent à ressembler à cet oncle frimeur et bourré qui cherche à figurer sur toutes les photos du mariage ! Facteur aggravant, quoique totalement indépendant du groupe, le lieu de captation semble avoir connu des problèmes de climatisation et, très vite, nos Suédois affichent un teint rubicond et des faces suantes guère en accord avec les sombres ambiances qu’ils s’échinent à mettre en place. Enfin, la réalisation vidéo laisse à désirer. L’étroitesse du lieu réduit de facto la profondeur de champ, inflige une multitude de plans rapprochés et laisse même passer des plans impardonnables : comment peut-on conserver au montage un plan qui montre un cameraman fixant un de ses collègues en train de traverser le champ ?! Vraiment pas professionnel, même pour des débutants…
Vous l’aurez sans doute compris, quiconque se lancera dans l’acquisition de Green Valley Live devra le faire avant tout pour des motifs musicaux, lesquels imposent un respect certain. Pour celles et ceux qui attendent d’être surprises par le compositeur hors pair que demeure Leif EDLING, je leur conseille toutefois de s’intéresser au défunt projet KRUX ou de plonger dans tous les albums d’AVATARIUM, groupe dont il n’est plus membre actif mais pour qui il continue de composer. Plus classique, le projet THE DOOMSDAY KINGDOM demeure un choix intéressant. Cependant, en tant que fan invétéré mais légitimement exigeant, j’attends de CANDLEMASS un sursaut en matière de créativité.
Clip audio de Well Of Souls : cliquez ici
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