|
Toujours plus haut, toujours plus fort
|
Il est absolument incontestable que le premier album du trio français BIRDSTONE, Seer (2019), avait haut la main gagné nos faveurs (cliquez ici). Je confesse avoir été tenaillé par la crainte de la déception à l’approche de la découverte de Loss, successeur de Seer : et si l’oiseau ne volait plus aussi haut ? Le fait est que l’aigle qui volait si fièrement au-dessus d’un paysage aride (visuel du tee-shirt Alquezar, titre majeur de Seer) se trouve ici certes enserrant un serpent, mais dans une posture de chute, entouré de flèches hostiles, tirées tous azimuts. Une simple écoute de Loss – et a fortiori des écoutes réitérées – suffit non seulement à rassurer, mais encore plus à constater la marge de progression conquise par le trio en deux ans.
Par commodité, nous conviendrons de conserver l’appellation usitée pour le premier album, à savoir celle de Blues Rock psychédélique, à condition d’admettre qu’il ne s’agit que d’un point de départ, que BIRDSTONE s’appuie sur cette double identité pour mieux prendre son envol et tracer une trajectoire qui, sous des apparences de prime abord fort classiques (tout le référentiel du Rock de la toute fin des années 60 et de la première partie de la décennie suivante se trouve peu ou prou convoqué), n’en révèle pas moins une identité propre et forte. Tentons de rendre compte de l’équation magnifique concoctée par Edwige THIRION (basse, chant), Basile CHEVALIER COUDRAIN (chant, guitare) et Léo GAUFRETEAU (batterie, chant). Au centre de tout, il y a l’électricité primale du Rock orageux, impérieux et aventureux, tel qu’il s’imposa entre 1967 et 1975.
Relevons en premier lieu un dispositif fondamental au niveau de la guitare, basé sur un subtil jeu de contraste entre une guitare en son clair, mélodique et acide d’une part, et des éruptions de riffs impérieux et tonitruants d’autre part. Les solos funambulesques stratégiquement décochés ne gâtent évidemment rien à l’affaire ! En appui du versant guitaristique le plus subtil et mélodique, la basse compense en terme de puissance et ne se contente pas de ponctuations épaisses, puisqu’elle n’hésite à prendre à son compte des lignes lead qui ne sont pas pour rien dans l’animation dynamique de l’ensemble, avec à la clé un groove, d’autant plus efficace qu’il évite tout effet clinquant. Saluons également l’adaptabilité d’un batteur qui rend son jeu tour à tour feutré et puissamment intense et mobile.
Progrès majeur, soulignons que le chant de Basile CHEVALIER COUDRAIN s’est bénéfiquement allégé et affranchi du filtre présent sur Seer, avec pour conséquence salutaire d’assumer les progrès en termes d’assise et les fêlures restantes, inhérentes au sombre propos de l’album. Les dites fêlures – qu’il ne faut aucunement confondre avec des faiblesses – impliquent davantage de versatilité, d’audace, de variété et d’émotions, au bénéfice du Rock de BIRDSTONE, qui y gagne en intensité, parfois en folie. Ainsi, quand il organise et assume une parfaite sortie de route hystérique, tel un muezzin sous acide, sur l’hypnotique Heaven (c’est étrange, mais je nous situerais plutôt à l’opposé du Ciel, mais qui suis-je pour suggérer que le prophète est fou ?!). Je suis certain que le baladin perché Jeffrey Lee PIERCE (THE GUN CLUB) aurait donné sa bénédiction… apprécie qui pourra. De fait, notre homme s'est mué en un véritable narrateur, totalement impliqué dans ses textes. Le renfort des deux autres instrumentistes aux chœurs permet de surcroît la mise en place de chœurs et d’harmonies d’un bon niveau, à la fois complément du versant le plus mélodique de l’instrumentation et contrepoint de la tendance la plus électrique.
Au-delà de cette tentative de rendu du dispositif stratégique qui caractérise Loss, tentons de poser à gros traits des repères référentiels utiles à tous et toutes. Dans ses moments les plus frontalement puissants et électriques, BIRDSTONE ne ferait pas honte à Jimi HENDRIX, à BLUE CHEER, à JAMES GANG, à THE DOORS, à HUMBLE PIE. Sur un titre carré et accrocheur comme Madness, ainsi que sur le mid-tempo rythmiquement sévère mais illuminé par un refrain sublime, le trio démontre avec une grande classe qu’il n’a pas grand-chose à envier aux RIVAL SONS et autre WOLFMOTHER.
En contrepoint, la dimension mélodique déjà évoquée, tant vocale (chœurs et harmonies) qu’instrumentale (ces arpèges de guitare limpides) produit un résultat singulier, que vient renforcer l’inspiration psychédélique : structures évolutives au gré de séquences contrastées, guitares certes mélodiques, mais subtilement acides. Impossible de trancher entre le Garage Rock sous acide du 13th FLOOR ELEVATOR et le Rock psychédélique des débuts du JEFFERSON AIRPLANE, le shamanisme de THE DOORS n'étant jamais loin. Quant à la dimension Blues Rock précédemment évoquée, il ne faut pas se projeter dans les ambiances moites des bords du Mississippi, pas plus que dans la sueur épaisse et électrique, parfumées aux émanations toxiques des usines de la région des Grands Lacs. Il s’agirait plutôt ici du Blues qui gagne simultanément en ampleur – voire en lyrisme - et en sécheresse à l’approche d’espaces désertiques. On n’est pas dans le dépouillement ascétique et désossé du Blues du plein désert, mais bien dans celui des régions semi-désertiques, au relief abrupt, celui des sierras hispaniques ou américaines. Du fond des arroyos asséchés, les notes de guitares durent et résonnent pleinement, osseuses et vibrantes ; la section rythmique se fait éboulement léger ou orage grondant, promesse de flots tellement attendus et soudain si impérieux et ravageurs.
Sur la base de ces quelques références, je ne saurais trop vous conseiller l’écoute – voire l’acquisition – de ce tourmenté second album. Le fait que ce trio soit français n’implique aucune gloriole nationaliste mal placée. Par contre, échauffe l’âme le fait d’envisager que les référentiels Blues Rock et Rock psychédélique puissent se régénérer, se réinventer de manière aussi vivace en France, pays dont plusieurs contrées du sud-ouest et du sud-est, notamment l’espace trans-pyrénéen multiséculaire catalan, tout cela fait chaud au cœur et à l’âme ; longtemps et à juste titre décrit comme un parent pauvre du Rock, la France démontre avec BIRDSTONE sa capacité à générer des formations électriques, voire éruptives, porteuses d’univers fantasmatiques complets et puissants. Fidèle au nom du groupe, les trois musiciennes produisent de facto une musique à la fois terre-à-terre et transcendante, fruit juteux d’une inspiration lointaine et d’un dynamisme régénéré. Ecoute et acquisition impératifs.
La maîtrise et l’aventure conjuguées, BIRDSTONE peut vaillamment envisager le futur et nous faire saliver sans l’attente d’un troisième album qui devrait, logiquement, exploser les conventions. En attendant, sincèrement bravo et merci messieurs dame.
Vidéos de The Trail cliquez ici et de Madness cliquez ici
PS : même les vidéos sont belles, envoûtantes et mystérieuses !
|
|
|
|